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9 juillet 2012

Trouver sa non-place - Pierre Feuga




Quand je suis arrivé en Enfer
sur la porte était marqué COMPLET.
« On n’admet plus que les cas très graves,
me dit un démon fatigué.
Vous autres humains avez banalisé le Mal.
Trop de travail pour nous !
A peine si l’on peut encore assurer l’insécurité
avec ce surcroît de damnés.
Certains collègues se mettraient bien en grève
s’ils ne craignaient de perdre leur emploi. »

Moi : « Où aller ? Je ne suis pas digne du Ciel. »
Lui : « Bah… Essayez le SRIK. »
Moi : « Plaît-il ? »
Lui : « Service de rétribution de l’impôt karmique. Vous appeliez ça Purgatoire dans le bon vieux temps. Aujourd’hui, du moment que l’argent rentre, ils y admettent n’importe qui. »




Je tentai donc ce Bercy posthume.
Mais cela ressemblait tant à la Terre.
C’était tatillon, gris, poussif.
Des comptes à n’en plus finir, un vrai contrôle fiscal
avec des rappels d’impayés, des majorations de retard discutables
mais mieux vaut ne pas discuter.

Un jour pourtant on m’annonça : « C’est bon, vous êtes blanchi.
Il y a un charter pour le Ciel
pour un Ciel
car il en existe plusieurs, savez-vous,
m’expliqua un steward un peu pédant, ancien du CNRS.
Cela dépend du niveau conceptuel que vous aviez atteint sur Terre. »
Eh bien mon niveau ne devait pas être très élevé.

Rien de nouveau sinon en plus grand, en plus durable.

L’ennui merveilleux des vacances méritées, comme ces dimanches sans fin où les enfants n’ont pas le droit de se salir.

Un jour pourtant
(si l’on peut parler de jour là où il n’y a jamais de nuit)
las de croiser des yogis impeccables,
des dieux épanouis, des déesses sans défaut qui charment,
des tigres jouant avec des vaches,

un jour donc, j’aspirai au Vide.
Je postulai.
Il y avait peu de demandes
et la mienne fut satisfaite
(ils n’étaient pas mécontents de se débarrasser d’un immigré).

Un saint réprobateur tamponna ma carte causale
Laissez-passer pour le Vide et bon vent !

C’est de là que je vous écris,
de ce Vide d’ailleurs sans vent.
Et vraiment je ne regrette pas mon choix.

Rien à raconter, certes,
ce n’est ni grand ni petit
ni clair ni sombre
c’est vide
illimité, sans formes, sans frontières
personne au-dessus ni au-dessous
pas de problème de voisinage, de hiérarchie.

Ceux qui demeurent là sont délicieux
on ne les voit jamais, ils n’ont plus de nom,
ne savent même plus celui de Dieu.

Ils ne sont pas insatisfaits comme ceux de la Terre
ni autosatisfaits comme ceux des Cieux.

Leur silence chante plus fort que vos paroles

Leur indifférence est plus chaude que votre amour
Pierre Feuga

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